mardi 18 août 2009

Module 5, unité 2: les loisirs

Comme vous le savez peut-être, j’ai commencé à enseigner à l’Alliance française d’Aguascalientes presque aussitôt rentrée dans cette ville. Au début m’a été confié un groupe le samedi matin, auquel se sont ajoutées, dès la semaine passée, deux heures quotidiennes avec un autre groupe, du lundi au vendredi, le soir. J’ai donc pour l’instant un horaire de travail assez étrange, mais je ne me plains pas ; en revanche, j’attends assez impatiemment d’avoir plus d’heures, normalement dès septembre, histoire de pouvoir cesser de puiser dans mes ultimes réserves d’argent et d’avoir quelque chose à faire la journée. Quoi qu’il en soit, après seulement trois semaines d’enseignement, un constat s’impose : j’adore.
A Genève, j’ai été remplaçante dans le secondaire pendant trois ans, j’avais donc déjà amplement eu l’occasion de me frotter à l’enseignement du français, surtout en 2006-2007, quand j’avais eu ma propre classe toute l’année. J’aimais bien enseigner au cycle d’orientation, mais mes élèves étaient des adolescents forcés à étudier une branche qu’ils n’aimaient la plupart du temps pas, et du coup je me retrouvais souvent épuisée après avoir tenté d’imposer un semblant de discipline pendant deux heures. Mon travail à l’Alliance n’a rien à voir: les élèves que j’ai ici sont adultes, ils se taisent quand je leur dis de se taire, ils sont attentifs, ils ont envie d’apprendre, ils aiment réfléchir sur les différences culturelles qui existent entre leur pays et l’Europe, et en plus ils rigolent aux blagues stupides que je fais à longueur de cours. Si j’ajoute que, pour donner mon cours, je n’ai en général qu’à suivre la méthode très bien faite que fournit l’Alliance, non, vraiment, je vois mal comment je pourrais trouver un boulot plus agréable que celui-ci. Je ne vois pas le temps passer quand j’enseigne.

Mon groupe du samedi vient de passer l’examen de fin de module 5, et je vais continuer le module 6 avec ceux qui auront réussi le test. Sachant que chaque module compte 40 heures, ces élèves ont donc déjà 200 heures de français derrière eux : ils se débrouillent plutôt bien et parviennent à maintenir une conversation simple. Avec le groupe que je vois deux heures par jour du lundi au vendredi, nous avons commencé le module 5, et nous avançons évidemment assez vite, à raison de 10 heures par semaine. Et puisqu’on me l’a réclamé, voici un petit extrait de l’une des leçons que j’ai données :

Nous sommes en train de finir la première unité du module, qui concerne les loisirs, et les élèves ont appris, l’autre jour, à exprimer leurs envies. Nous avons commencé par lire une lettre, dans laquelle les élèves devaient relever les expressions que l’auteur avait utilisées pour exprimer ses désirs. Elle finissait ainsi :

« Je n’ai pas envie de continuer à vivre dans le stress continuel et c’est pour ça que je pense partir un an au Mexique. Je vais chercher un job pour vivre, j’aimerais par exemple donner des cours de français. Tu vois, je suis en pleine crise. Et toi, qu’est-ce que tu deviens ?
Je t’embrasse,

Judith »

C’est sous les rires que l’élève que j’avais désigné a terminé sa lecture, en substituant « Judith » par « Nathalie ». J’aime beaucoup cette méthode de français, justement parce qu’elle met en scène des situations crédibles et invite à la réflexion et à l’échange.

Un élève m’ayant demandé si on pouvait dire « je t’embrasse » à quelqu’un qui n’est pas son amoureux, j’ai commencé une large digression sur le vocabulaire affectif, et me suis retrouvée à écrire les traductions suivantes au tableau :

Coger= baiser
Besar= embrasser
Abrazar = prendre dans ses bras

« baiser » a beau ressembler à « besar » et provenir du même mot latin, il n’en a plus la même signification depuis plusieurs siècles ! Attention donc à la drague avec un ou une Français(e) : il ne faut pas dire « j’ai envie de te baiser », mais bien « j’ai envie de t’embrasser » ! Et de même, « embrasser » ne signifie pas « serrer dans ses bras ». J’adore comparer les langues entre elles, je suis servie !

La consigne de la deuxième partie de l’exercice était : et vous, avez-vous envie de changer votre routine ? Qu’aimeriez-vous changer dans votre vie ?
Une fois qu’ils ont eu le temps d’y réfléchir, j’ai invité les élèves à s’exprimer, par oral, chacun leur tour. Nouveaux rires quand Silverio, la quarantaine, qui vient en cours avec sa femme Lupita, s’est exprimé, dans son français bancal : « Moi, je voudrais changer ma femme pour deux femmes de 20 années ! » Sous les coups de sa femme, faussement outré, il a expliqué : « Oui, c’est normal, non ? Deux fois 20 ans au lieu d’une seule femme de 40 ans. »

Par la suite, les élèves ont dû donner leur appréciation d’un évènement culturel, concert, film, exposition, auquel ils avaient assisté. En passant dans les rangs et en les écoutant discuter entre eux, j’ai pu constater qu’ils avaient bien su intégrer les expressions que je leur avais fournies en plus de celles qui sont mentionnées dans leur manuel. J’ai ainsi entendu que le match de foot Mexique / Etats-Unis avait été « carrément cool », alors que tel film, vu à la télé, était « nul à chier ». Evidemment, tout cela sonne parfois un peu artificiel, mais je trouve quand même que c’est comme ça, en parlant beaucoup, que j’aurais dû apprendre l’allemand (que je ne parle pas, après neuf ans d’études !), l’anglais et l’espagnol.

Quand un élève parle espagnol en cours, tout le monde l'engueule et lui crie: "chocolaaat!"; il semblerait en effet que mon prédécesseur ait eu l'habitude de les punir en les obligeant à amener du chocolat en classe. Evidemment, personne n'en a jamais amené, nous aurions déjà tous fait une bonne crise de foie s'il fallait tout comptabiliser; mais cela m'a donné une idée. Je rentre à Genève pour les vacances de Noël, et il se trouve que mon pays est justement connu pour son délicieux chocolat au lait... Pourquoi ne pas faire une activité sur le chocolat suisse, et faire étudier à mes élèves un texte sur Lindt et le fameux procédé qu'il a inventé pour rendre le chocolat plus onctueux? Avec, à la clé, une dégustation de vrai chocolat suisse, dont j'aurai rempli mon sac à dos au retour de Genève. Rhâââââ, un simple rayon migros rempli de dizaines de sortes de plaques de choc...j'en rêve la nuit! Et un vacherin Mondor au goût de bois fumé, et une fondue moitié-moitié, et un bon brie aux truffes bien coulant...bouhouhou!

En attendant de me poser enfin à Genève le 21 décembre, j'essaie en tout cas de transmettre mes connaissances de l'Europe francophone et ma passion du français, autant que je peux, et j'en apprends beaucoup en retour sur le Mexique et les Mexicains. J'aime.

samedi 15 août 2009

L'Agropecuario

Jusqu’à présent, j’avais surtout vu d’Aguas, ces dernières semaines, sont côté propre, net et policé et même un peu luxueux ; c’est qu’en plus d’aller faire mes courses, comme tout le monde, dans le grand supermarché près de chez moi où des jeunes filles au sourire coincé vous font déguster des tas de trucs sur fond de musique très forte, j’ai également plusieurs fois poussé jusqu’au gigantesque centre commercial du nord de la ville. Très peu de vélos, un vigile bavard qui surveille les voitures de tout ce beau monde, un Zara fantastique mais où les prix sont les mêmes que chez nous, et un Starbucks où la moindre boisson coûte le tiers de mon salaire horaire. Bien bien ; mais l’autre jour, je me suis enfin décidée à basculer du côté obscur de la force : je suis allée faire un tour à l’Agropecuario. Agropecuario, j’ai cherché dans mon dictionnaire en ligne, c’est à la base un adjectif qui signifie « agricole et de pêche ». J’aurais pu le deviner moi-même, tiens, suis-je bête. J’avais en tout cas déjà plusieurs fois entendu parler de cet endroit, que l’on m’avait décrit comme étant populaire et bon marché : logique, puisqu’il s’agit en réalité de l’endroit par où transitent tous les fruits, légumes, céréales et produits carnés d’Aguascalientes, avant qu’ils ne soient revendus aux détaillants. J’ai donc regardé, sur mon tout nouveau plan d’Aguascalientes – l’ancien a rendu l’âme après quatre mois de consultations bien trop fréquentes -, où se trouvait ce fameux Agropecuario, et me suis rendu compte qu’il se trouvait tout près de l’Alliance française, et que j’étais déjà passée devant ce lieu des dizaines de fois sans m’en rendre compte. Mais en lieu et place de la grande halle couverte et proprette que je m’attendais à trouver, avec sa jolie entrée où aurait été inscrit le mot « Agropecuario », ce sont en réalité des dizaines et des dizaines de petits entrepôts-magasins que j’ai découvert, alignés les uns à côté des autres sur plusieurs centaines de mètres carrés. Après avoir attaché mon vélo à un poteau hors de la zone, je me suis bravement frayé un chemin entre les files de camionnettes, et j’ai pénétré dans l’antre de la bête.
Tandis que je déambulais, paumée, entre les échoppes, j'ai tenté de me composer un air sûre de moi, du genre je suis mère de famille, je viens tout le temps ici et je sais exactement ce que je cherche. Raté. J'ai tout de même attiré l'attention, et ai pu constater, vu le nombre de regards salaces et d'interjections lancées dans ma direction que, d'une part, le lieu est effectivement très popupaire et que, d'autre part, je ne peux décidément pas passer pour la Mexicaine moyenne. Tentant de remonter un peu mon décolleté, j'ai regardé autour de moi: j'étais au beau milieu du département des produits carnés. Fascinée et plus que jamais convaincue que le végétarianisme était le bon choix, j'ai dépassé un camion chargé de gigantesques carcasses de bovins fraîchement dépiautés, un tas d'os auxquels restaient accrochés des morceaux de chair, et qui empestait dans la chaleur d'août. Sortir d'ici. Mais où diable se trouvaient les légumes?? J'ai encore eu droit au spectacle de dépouilles, roses, de boeufs écorchés et suspendus, sans tête, à l'air libre, et ai dû zigzaguer entre les Hidrocálidos chargés des kilos de bidoche nécessaire à nourrir toute la famille, et ai enfin débouché dans la zone des graines et céréales. Aaah, enfin dans mon élément! Euh..quoique en y regardant bien... Je me suis retrouvée devant une bonne quinzaine de gigantesques sacs laissant voir leur contenu des plus variés. J'aurais voulu pouvoir observer à ma guise, mais le vendeur est immédiatement arrivé pour me servir: "a sus órdenes", "à vos ordres". Là j'ai commandé un kilo d'avoine, histoire de l'occuper deux minutes, et ai regardé, indécise, l'immense variété de haricots, de ceux que nous appelons blancs, qui s'offrait à moi. Déjà le vendeur revenait avec l'avoine de mon déjeuner. "Quoi d'autre?" - "Donne-moi 500 grammes de pinto", lui ai-je répondu de la voix sûre de celle qui sait exactement ce qu'elle veut. Ben oui, le pinto, avec sa délicate couleur, rose marbré de blanc, m'a semblé tout mignon. Heureusement qu'il y avait une étiquette au-dessus de chaque sac... "Américain ou national?", m'a alors demandé le vendeur. Argh. Mon cerveau supérsonique a réfléchi en un quart de seconde, et c'est toujours aussi désinvolte que j'ai répondu que je voulais du national. Ouf, mission accomplie; après, il allait encore falloir cuisiner ces pintos, mais au moins j'avais sauvé la face.

J'ai ensuite découvert un magasin rempli de toutes les graines possibles et imaginables, de fruits secs, de lentilles, de riz, et en suis ressortie le sac à dos bien plus lours, mais le porte-monnaie à peine plus léger. La zone consacrée aux fruits et légumes m'a fascinée par son abondance. En plus des nombreuses espèces de pommes et de bananes (vertes, jaunes, à frire), on y trouvait bien sûr tous les fruits que nous nommons exotiques, dont certaines m'étaient inconnues. En matière de légumes, outre ceux que nous connaissons, il y avait en outre des éventaires entiers de nopal, le cactus mexicain, dont on mange la pulpe en tacos ou en salade après l'avoir dépiauté de ses épines (les vendeuses effectuaient ce travail à même le marché), de gigantesque tas de maïs (mais que serait le Mexique sans son maïs?), des sacs entiers de fleurs d'hibiscus séchée, dont on fait des infusions que l'on boit froides et sucrées, sans compter la variété infinie des piments, secs ou non. Le nopal j'ai déjà goûté et je n'aime pas trop, mais je me suis dit, en déambulant entre les stands, que je devrais varier un peu ma cuisine et intégrer plus de piments maintenant que je commence à les supporter, et plus d'ingrédients typiquement mexicains. Après tout, je dois profiter de ce que je vis au Mexique, je ne suis pas du tout sûre d'y rester plus d'un an.

J'ai finalement regagné mon vélo chargée de kilos de nourriture bon marché, satisfaite de mon escapade. Je suis revenue à l'Agropecuario quelques jours plus tard, sans décolleté mais avec mon appareil photo, bien décidée à en tirer d'intéressantes photos; mais je n'étais pas à l'aise et n'avais pas envie de dégainer mon gros reflex, d'entrer dans les bnoutiques et de chercher le meilleur angle de prise de vue. J'ai bien tenté de prendre quelques photos à la dérobées, mais elles ne m'ont pas plu, je les ai effacées. Il faudra donc vous contenter du texte et faire travailler votre imagination!


Ce week-end, je pars fêter l'anniversaire de Quique à Guadalajara, mais je vous prépare un post sur mon travail à l'Alliance française, je le mettrai sans doute en ligne lundi. Bon week-end! :)


Qui suis-je?

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Genève, Genève, Switzerland