mercredi 11 mars 2009

"Estás tocando vidas..."

Je crois déjà avoir mentionné que Pepe, dont je suis les cours de photo, est également et surtout impliqué dans le théâtre. Lorsque je lui avais raconté que j'avais fait un peu d'impro* dans mon adolescence, il m'avait proposé de venir l'aider à donner son cours de théâtre hebdomadaires à des jeunes. Avec plaisir! Il est passé me chercher aujourd'hui, et m'a expliqué brièvement ce qu'il attendait de moi: "Moi je ne serai là que pour les engueuler s'ils font trop de bruit, la classe sera donc entièrement à toi pendant un peu moins d'une heure et demi (on est bien à la bourre), tu donnes le cours!" Là, j'ai tenté d'ouvrir la portière de la voiture et de sauter en marche, préférant un destin de paraplégique à vie plutôt que d'avoir à donner tout un cours que je n'avais pas préparé, dans une matière que je ne maîtrise pas. Malheureusement Pepe, s'attendant à ma réaction, avait verrouillé les portes, me condamnant ainsi à rester sagement assise dans son véhicule qui m'emmenait, inexorablement, vers mon funeste destin. Tenant à ce que je fasse bonne figure devant ses élèves, il a néanmoins tenté de me rassurer: pour commencer, je n'aurais qu'à me présenter, raconter un peu mon voyage et ma vie, histoire d'apporter quelques lueurs d'exotisme à ces jeunes cerveaux et de leur faire partager mes connaissances, puis je pourrais éventuellement leur faire faire un des exercices d'improvisation que je connaissais. "Mes connaissances??", ai-je glapi, "mais quelles connaissances? Je ne sais pas grand chose, je ne vois pas ce que je pourrais leur transmettre..." - "Tu ne vas pas me dire que tu n'as rien vu et rien appris en parcourant le continent, je sais que c'est faux, tu m'a déjà raconté tout ça!", m'a-t-il répondu. Euh bon.... D'accord, c'était faisable.

Nous sommes finalement arrivés dans une "prépa", l'équivalent de notre collège, et nous sommes frayé un chemin au milieu des ados en uniforme, jusqu'à une salle dotée d'une grande scène. Je me suis sentie assez con quand Pepe m'a présentée à sa classe de dernière année en leur précisant que j'avais fait du théâtre, puisque c'est absolument faux: moi j'ai juste fait un peu d'impro il y a 7 ans, et je n'étais ni la plus douée, ni la plus assidue de l'équipe; mais bon, je me suis contentée de sourire d'une manière un peu crispée. Je me demandais si j'allais tenir plus de quelques minutes à me présenter, mais j'ai finalement parlé trois quarts d'heure sans même m'en rendre compte. J'ai raconté comment je m'étais retrouvée sur la route, ce qui m'y avait poussée, j'ai évoqué le couchsurfing et mes différentes rencontres, j'ai parlé de mes études et de mes projets, de mes amis voyageurs, de nos liens, des différences de mentalités entre la Suisse et le Mexique, et me suis étendue, à la demande de Pepe, sur la signification des tatouages que je porte aux poignets depuis Chihuahua. J'ai conclu en disant que je ne savais pas trop ce que j'allais faire dans les prochains mois, mais que j'avais appris que ça n'avait pas d'importance, tant que je suivais mes envies et mon instinct. Les élèves étaient fascinés. Pepe a clôturé mon speech avec ces mots: "J'ai demandé à Nath de venir vous parler pour que vous puissiez vous rendre compte qu'il existe d'autres façons de vivre, là, au-dehors, et que vous n'êtes pas obligés de suivre le chemin que des milliers de personnes ont suivi avant vous juste parce que c'est à ça que vous êtes destinés, ou pour ça que vous étudiez. Que vous suiviez un cursus ne signifie pas que vous deviez vous conformer à ce qu'on attend de vous, et il existe d'autres manières d'apprendre et de se former que sur les bancs de l'université, tout aussi enrichissantes, voire plus." Diantre, mais c'est qu'il a fichtrement raison! Et c'était moi qu'il offrait en exemple à ces jeunes âmes, moi qui sais à peine où je vais et ce que je fiche ici??

J'ai par la suite pu voir les visages des élèves passer instantanément de l'intérêt soutenu à un morne ennui quand je leur ai demandé de commencer à songer à un personnage, qu'ils devaient doter d'une voix particulière et d'une particularité physique. Pendant qu'ils faisaient semblant de chercher, Pepe m'a présenté ses élèves favoris, ceux qui viennent également au cours du vendredi, facultatif, et qui, donc, aiment réellement le théâtre. A la fin du cours, lui et moi sommes restés à discuter une bonne demi-heure avec deux de ces élèves, des filles qui m'ont laissé une forte impression. Elles n'ont que 17-18 ans mais des projets plein la tête. L'une d'entre elles, Marisol, m'a expliqué qu'elle hésitait entre plusieurs options pour l'année prochaine, mais pensait s'offrir une année de liberté avant de commencer l'université en anthropologie. Quand je lui ai demandé s'il y avait des débouchés dans cette matière au Mexique, elle m'a répondu qu'elle avait un projet bien particulier, que l'anthropologie n'était qu'un moyen d'y parvenir, qu'elle ne savait pas s'il y avait un poste correspondant à ce qu'elle voulait faire, mais que si ça n'était pas le cas elle le créerait elle-même. Quoi qu'il en soit, m'entendre raconter ma vie l'a inspirée, m'a-t-elle dit, et cela lui ouvre de nouvelles perspectives. Moi, elle m'a impressionnée: quelle volonté, quelle personnalité! Nulle doute qu'elle ira loin.

Dans la voiture, au retour, Pepe m'a remerciée d'avoir pris le temps de parler à ses élèves, et il m'a dit que selon lui je pourrais faire la même chose dans chaque endroit que je visite, avec mes photos à l'appui, pour raconter par où je suis passée et ce que j'ai vécu. Et qui sait, je pourrais ainsi me créer un réseau de gens disposés à m'aider et à m'héberger... "Estás tocando vidas", "Tu touches des vies, tu peux changer la façon de penser des gens, les aider à progresser grâce à ton expérience de la vie".

Bon. J'espère que c'est vrai. Ce qui est sûr, c'est que moi je suis sortie de cette école tout autant touchée qu'eux, et avec de nouveaux sujets de réflexion. Que faisais-je, à leur âge? Pourquoi n'étais-je pas comme Marisol? Pourquoi ai-je attendu si longtemps avant de me mettre à jouer de la guitare, à chanter, à danser, à dessiner, à écrire, à photographier? Pourquoi n'ai-je pas fait de théâtre? Où sont passées mes années d'université? A quoi m'ont-elles servi? Où sont les amis que j'aurais dû me faire à cette époque? Pourquoi n'ai-je pas voyagé plus tôt?

A l'évidence, je me suis trop longtemps laissée vivre au lieu de créer une vie qui soit la mienne...il est temps de me rattraper. Je crois que je suis sur le bon chemin, ces quelques heures passées avec les ados me le confirment.


* "Improvisation théâtrale", du nom officiel de cette activité grandiose. Pour ceux qui ne connaîtraient pas, il s'agit pour deux équipes de s'affronter lors d'un match amical en improvisant de courtes scènes sur des thèmes et selon des contraintes imposés par l'arbitre. A Genève, l'activité est bien développée, je vous recommande fortement d'aller regarder l'un des matches, gratuits, de la ligue amateur, qui ont lieu, si ça n'a pas changé, les mercredis soirs à 20h. Renseignements sur www.impro.ch.

6 commentaires:

Elise a dit…

ça m'inspire, tout ce que tu as écrit là. C'est aussi complètement ce que je me pose comme questions : pourquoi n'avoir trouvé ma voie qu'à 30 ans (plutôt, c'est ma voie qui m'a trouvée !), pourquoi avoir "perdu" tout ce temps... Mais en réalité, le temps qu'on "perd" à faire autre chose que ce qui nous correspond n'est pas perdu ! Ce qui est exquis met du temps à mûrir !

On a tous la faculté d'influencer les autres, en tout cas d'influencer leurs choix de vie, consciemment ou pas. Nous-mêmes nous avons, à un moment donné, "dépendu" d'une autre personne, grâce à une rencontre inopinée qui a fait basculer notre destin.

J'essais aussi d'expliquer ceci à mon groupe de jeunes à la paroisse : il n'y a pas de voie toute tracée, dans la vie. On ne fait pas du droit pour reprendre l'étude de papa, ou de la médecine dentaire parce qu'on va ouvrir un cabinet avec sa meilleure amie hygiéniste... Et bien souvent, on ne travaille pas dans la branche qu'on a étudiée pendant des années ! La vie réserve des tas de surprises ! Mais, ça on ne le sait pas à l'avance, sinon personne n'irait à l'uni 5 ou 6 ans, et ce qui est génial, c'est que quand on entre à l'uni à 19 ans, on n'a pas la même maturité qu'en en sortant à 25 voire à 30 et c'est là qu'on s'aperçoit que c'est bien ridicule !!! Les études, ce sont juste des clés pour nous permettre d'ouvrir des portes qui cachent un présent auquel on ne s'attendait pas, c'est ça, la Vie !!

Je crois quer toi et moi, on a des parcours différents, mais la même philosophie de vie, au fond. Je sens que ces prochaines années (quand tu seras revenue poser tes valises au bout du Lac ! Hum, j'espère un jour, qd même, sinon j'irai te trouver là où tu seras !), nos conversations vont être bien riches !

Bises.

Anonyme a dit…

Il me faudrait ta recette... mais je peux pas me barrer, MOI, j'ai cinq chats à charge...hum. T'as quand même de la chance d'avoir une famille qui s'occupe des choses plus terre à terre genre les factures, hein.

Bon ben j'attends... pour l'instant je laisse ma vie couler tranquillement, et tant pis si les années passent, comme dit Elise, ce qui est exquis met du temps à mûrir. Voilà voilà...

Nath a dit…

Isa, je n'ai pas de recette, je pense que tout ça prend du temps, et comme dit Elise, oui, ça met du temps à mûrir. Je pense que tu n'es pas encore au même point que moi dans ta vie, et je ne dis pas ça d'un air supérieur ou en pensant tout savoir de ce que tu ressens.Je croyais que tu ne voulais de toute façon pas partir aussi longtemps, que ça n'était pas ton truc, que tu ne pourrais pas, etc, etc... Quoi qu'il en soit, pas besoin de prendre l'avion pour construire sa vie, c'est bien plus une question d'attitude que de lieu...même si prendre de la distance aide à s'en rendre compte.

Et à part ça moi je suis quand même partie avec un diplôme, ce qui me rassure quand même pas mal, quoi qu'en en dise. Oui, laisse-toi vivre, étudie, grandis, et quand ce sera le moment que tu partes, ce sera moi qui garderai les chats à GE ou à Tombouctou pendant que tu te baladeras.

Elise a dit…

Pour ISA :
"Le plus court chemin qui mène à soi-même est encore le plus long détour". (Christiane Singer, in "Les Ages de la vie") - à méditer...
La route est longue, mais il y a une route. A fil du voyage, ça s'éclaircit. On ne sait pas quand ni comment, mais faut garder confiance. Et surtout garder le coeur et les yeux ouverts*.
Bises à toi.

*"Une révélation guette celui qui avance le coeur et les yeux ouverts". (Christiane Singer, toujours in "Les Ages de la vie", lecture que je te (vous, Nath aussi !) conseille vivement, ainsi que la plupart des bouquins de cette auteure exceptionnelle malheureusement plus de ce monde, emportée par ce foutu cancer)

Anonyme a dit…

my god tu es enfin entrain de vivre petit à petit...

Anonyme a dit…

Salut Nathalie,

Je trouve ça cool ce que tu vis en Méxique, que tu rencontres des vrais Mexicains et que tu apprends comment ils vivent etc.
Je te souhaite que tu ferras encore beaucoup de rencontres intéressantes... et espère que j'aurai bientôt l'occassion (après mon Master) de faire un grand voyage également!:)

Jeanine

Qui suis-je?

Ma photo
Genève, Genève, Switzerland