mardi 4 novembre 2008

San Luis Potosí

J'ai quitté Zacatecas dimanche après-midi, dans un de ces bus super confortables, et ai eu la surprise d'y tomber sur la fin d'un film français avec Catherine Frot en pianiste (Marion peut certainement m'aider à en retrouver le titre). Bon, je ne savais pas que le cinéma français était connu jusqu'ici... Je me suis installée confortablement pour commencer la lecture de "Thomas More's magician", l'histoire d'un Espagnol du XVIe qui a fondé des colonies utopistes au Mexique, quand il m'a semblé percevoir des bribes de conversation en allemand. Ah oui, tiens, ils passent un film allemand, maintenant, curieux... Mais plus tard, c'est du Schwytzerdütch que j'ai entendu! Abasourdie, j'ai levé la tête pour constater qu'en effet, le film en question, "Vitus", était suisse, et non allemand. Par quelle étrangeté ce film, provenant d'un tout petit pays qui ne produit que quelques films par an, a-t-il atterri au Mexique?? J'avais envie d'interpeller les autres voyageurs: "Hé, ce film est suisse, vous savez? Ce que vous entendez là, c'est pas de l'allemand, c'est notre première langue nationale! Vous entendez la différence avec l'allemand qu'ils ont parlé juste avant?" Mais je me suis contenue, et ai tenté de comprendre l'intrigue, sous-titrée en espagnol. Et je vous prie de croire que c'est une expérience culturelle assez intéressante que de lire "holá" quand le personnage dit "grüetzi"!

La ville de San Luis Potosí est située dans le sud de l'état, qui lui-même est à l'est de Zacatecas.


Arrivée à San Luis, j'ai pris un taxi jusqu'au carrefour que m'avait indiqué mon couchsurfeur, Octavio, et ai rapidement trouvé sa maison, bleue à trois étages. Il m'avait écrit: "je serai probablement en train de dormir, donc frappe fort à la porte"; sauf que bon, la porte de la maison était inaccessible derrière un grillage fermé par un cadenas. D'accord, ai-je raisonné, il est absent; je me disais bien qu'il ne serait quand pas endormi, chez lui, le dimanche du jour des morts, à 17h... Je suis donc allée manger un truc (végétarien et plein de légumes, o miracle!) et suis retournée voir. Le cadenas était toujours en place. J'ai demandé à deux jeunes cailleras s'ils connaissaient le type qui vivait là et s'il était présent, et ils m'ont dit qu'ils voyaient de qui je parlais, mais qu'ils ne l'avaient pas vu dans le coin depuis un moment. Bien. J'ai dégotté un cyber café, me suis connectée à mon compte sur couchsurfing.com et ai chercher son numéro de téléphone, que j'avais, bien entendu, oublié de noter la veille. J'ai tenté de l'appeler, mais suis tombée sur un message d'erreur. Hum...d'accord. Bon. La nuit commençait à tomber et je me retrouvais dans un quartier populaire loin du centre, sans logement et sans possibilité de contacter mon hôte. Après avoir presque oublié ma guitare, dont la fourre est remplie de thune, à côté du téléphone, j'ai finalement embarqué dans un bus qui se dirigeait vers la ville. Le chauffeur ne savait pas s'il existait une auberge de jeunesse au centre, et d'ailleurs il ne savait pas ce qu'était une auberge de jeunesse; mais il m'a laissée tout près de la place principale, bordée d'hôtels. Celle-ci grouillait de monde assistant à je ne sais quoi en l'honneur des morts; mais je ne pouvais pas vraiment en profiter, chargée de tout mon bordel. J'ai trouvé un autre cyber et me suis reconnectée pour chercher un hostal ou un truc pas cher...parce que mon guide de m**** ne propose que des hôtels et que non, je n'avais pas pensé à faire cette recherche dans le premier cyber. Mais alors que j'étais en ligne, j'ai reçu un message de mon hôte: "Où es-tu? Peut-être n'as-tu pas frappé assez fort? Je dormais, je viens de me réveiller". Rhâââ. J'ai repris un taxi, parce que j'aurais été incapable de retrouver l'endroit en transports publics, et ai débarqué, encore une fois, devant la grille cadenassée. Bon, il devait bien avoir un moyen d'entrer! Faisant le tour, j'ai tenté d'ouvrir une autre porte dans le grillage, non cadenassée, celle-ci. Je l'avais déjà remarquée lors de mon premier passage, mais n'avais pas compris que je devais la pousser au lieu de la tirer... Bref, j'ai enfin pu entrer chez Octavio, quelques heures après mon arrivée à San Luis Potosí!

Il m'a expliqué qu'il dormait à des heures quelques peu inhabituelles parce qu'il n'avait, en ce moment, rien d'autre à faire que de terminer son mémoire de licence en littérature hispanique. Tiens tiens, un lettreux! Sa situation a m'a évidemment fait penser à celle qui était la mienne il y a encore quelques mois; je me suis pourtant vite rendu compte qu'il existait de sérieuses différences entre nous deux. Tout d'abord, outre qu'il écrit son travail en espagnol et moi en français, c'est un minimum de 100 pages qu'il doit pondre, et non pas seulement 60 comme chez nous. Ensuite, le thème de son mémoire - qu'ils appellent ici une thèse - porte sur un sujet plus complexe que le mien, et plus vaste: l'esthétique, qui passionne Octavio, à propos de laquelle il a développé une théorie ambitieuse, tout seul. Et finalement, ce qui nous différencie le plus est que lui est un vrai lettreux, un pur et dur: il a assisté aux cours, peut me parler de ces auteurs que je suis censée avoir étudiés au lieu de dormir le matin, il est officiellement classé parmi les meilleurs étudiants de littérature hispaniques de l'état de Zacatecas ("oui, mais tu sais l'état est petit...") et surtout il aime écrire. Ouah. Il ne lui reste qu'une page à pondre, mais il procrastine par peur de s'être totalement planté, car il n'a rien montré de son travail à sa prof. Tiens, j'ai fait ça aussi, et ça s'est avéré être une assez mauvaise idée. Mais si lui n'a rien montré, c'est que sa prof lui a donné carte blanche, impressionnée par ses résultats, et d'ailleurs il espère parvenir à publier son essai... Pas grand chose à voir avec ma situation de ce côté-là, donc, et je suis persuadée qu'il va réussir brillamment. Par la suite, il pourrait facilement devenir investigador, c'est-à-dire, d'après ce que j'ai compris, une personne qui est payée pour faire des recherches, un peu comme un prof d'uni, mais sans les cours à donner; c'est très bien payé, mais ça ne l'intéresse pas, et il paraît que le niveau est mauvais. Non, lui veut devenir romancier, il va donc se débrouiller pour obtenir des bourses - il y en a plein ici, dit-il, offertes par le gouvernement aux lettreux pour qu'ils ferment leur gueule quant aux problèmes sociaux - et écrire. Autant dire que je suis envieuse! Ce type, c'est moi en mieux. Il a fait quelque chose de ses études là où je n'ai fait que du présentéisme - le corps était là, pas l'esprit -, et il se donne les moyens de ses ambitions littéraires quand je me contente de raconter platement ma vie sur ce blog d'égocentrique.
Quand je lui ai eu dit que je venais de Genève, Octavio m'a immédiatement demandé si j'avais lu "Belle du Seigneur", d'Albert Cohen. Eh bien non, pas encore, et je sais que c'est une honte pour une lettreuse genevoise. Pour information, cet auteur du début du XXème siècle a passé la majeure partie de sa vie en Romandie et "Belle du Seigneur", qui est considéré comme un chef-d'oeuvre majeur de la littérature francophone, se déroule en grande partie dans notre belle ville du bout du lac. Octavio n'est pas Genevois, et il ne parle pas un mot de français; n'empêche que lui a lu Cohen. Bon. Dès que j'aurai terminé les deux bouquins qui m'attendent depuis des semaines - je ne lis rien quand je ne prends pas le bus -, je me débrouille pour dégotter une librairie française à Mexico City!

Nous sommes finalement sortis et avons marché une grosse trentaine de minutes jusqu'au centre ville. La façade du Templo del Carmen était illuminée, et des hauts-parleurs diffusaient de la musique religieuse, mais la plupart des gens s'étaient dispersés. Devant ma déception, Octavio m'a dit que de toute façon il n'y avait pas grand chose à voir en ville, les gens célèbrent ce jour en privé, chez eux; pour vraiment voir quelque chose, j'aurais dû aller dans un village. Ah ben tiens, personne n'aurait pu me le dire avant...?

Je ne sais pas comment ils font pour que les lumières coïncident si parfaitement avec les détails de la pierre, mais c'est vraiment beau.


Nous sommes allés manger, puis nous sommes un peu baladés au hasard des rues. Octavio voulait me montrer un bar sympa, mais bizarrement le style de musique qui s'en échappait ne ressemblait pas à ce qu'on y diffusait d'habitude. Nous nous sommes approchés pour lorgner, et des gens nous on fait signe d'entrer. Nous nous sommes exécutés et sommes tombés en pleine soirée privée, pour la célébration de l'anniversaire d'une certaine Mónica. Celle-ci nous a accueillis chaleureusement - peut-être parce qu'il n'y avait pas grand monde - et nous a offert à boire et une part de gâteau. Je n'étais pas d'humeur festive, et nous sommes restés un peu à l'écart de tous ces gens déguisés pour Halloween. Halloween? C'était pas il y a quelques jours? Et je croyais qu'ici on ne fêtait que le día de muertos? Apparemment pas chez les jeunes. Octavio était tout heureux de pouvoir taper gratuitement dans le bar, et je voyais son état d'ébriété avancer de minute en minute. Il m'incitait à boire, moi aussi, mais je n'avais qu'une envie: rentrer et dormir. Malheureusement, il n'avait qu'une clé, et je n'avais de toute façon plus assez sur moi pour prendre un taxi (il faut dire aussi qu'à 2,50 CHF la course, ça revient vite cher!); j'ai donc dû utiliser tout mon pouvoir de persuasion pour le convaincre de rentrer, à pied, avec moi.
Quoique totalement ivre, Octavio n'en a pas perdu pour autant son savoir ni ses qualités analytiques et pédagogiques, et j'ai eu le droit sur le chemin du retour à une petite leçon sur le "malinchismo". Ce terme, typiquement mexicain, remonte à l'époque où une femme, la Malinche, a aidé Cortés à communiquer avec les Indigènes et lui a ainsi permis de créer des alliances pour défaire l'empire Mexica. Dans le langage moderne, il fait référence à une conduite des Mexicains en faveur de tout ce qui est étranger par opposition à ce qui est mexicain: tout ce qui est étranger est mieux. Selon Octavio, de nombreuses personnes au Mexique se comportent ainsi, et vivent de manière inconsciente ce qui ressemble à un complexe d'infériorité; ainsi, il est persuadé que c'est ma présence, en tant que güera (littéralement "blonde") à l'apparence étrangère, qui a incité les membres de la fête à nous accueillir à bras ouverts. Certes; mais cela ne reflète-t-il pas une simple curiosité? Ne se passe-t-il pas la même chose dans toutes les sociétés dans lesquelles vivent peu d'étrangers, sans que ce complexe intervienne? Je ne sais pas. Ayant grandi dans une ville cosmopolite, dont la population est donc un peu blasée quant aux différences culturelles, il m'est difficile de répondre. Il paraît que le malinchisme est bien plus palpable dans le sud du pays et en Amérique centrale... On verra.

Petit trip fontaine sur le chemin du retour.
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Quand nous sommes finalement arrivés dans son quartier, Octavio m'a raconté quelques anecdotes, du genre: " Il y a quelques mois, un type s'est fait tuer à coups de bouteilles juste devant ma porte, ils l'ont assomé et emmené dans une voiture... Et puis dans cette rue, y en a un autre qui s'est ramassé des coups de couteaux... C'est à cause des Narcotraficants, tu comprends..." Ah ben chouette, merci pour le cours d'histoire régionale. "Et là on va passer dans une zone un peu dangereuse... Mais t'en fais pas, il ne m'est jamais rien arrivé jusqu'à maintenant, ils me connaissent, ils savent que je suis le mec qui écrit et qui a étudié à
Zacatecas, ils me respectent... Mais si par hasard il se passait quelque chose, tu parles en français, surtout, hein!" Très rassurant, tout ça. Ce serait marrant, tiens, de se faire buter durant le jour des morts... Nous sommes évidemment arrivés sans encombres, à 3h du matin, et j'ai pu me faire chauffer une casserole d'eau pour me doucher - parce que non, il n'y a pas d'eau chaude - avant de m'effondrer dans un lit bordé de rose et entouré de poupées de porcelaines, protégée par un beau Jésus blond et sensuel.

Le lendemain, Octavio tenait une méchante gueule de bois; c'est donc seule que je suis partie visiter le centre historique. San Luis, comme Zacatecas, est une ville coloniale, fondée par les Espagnols, qui exploitèrent les mines d'argent de la région dès le XVIème siècle. L'architecture, comme dans les autres villes coloniales, y est imposante et belle, les églises sont taillées dans une jolie pierre rose-orangé et il y a plusieurs grandes places accueillantes. N'empêche que seule, on en a vite fait le tour, et j'ai finalement préféré rentrer et glandouiller sur le net.









Admettez-le, cette photo est fantastique!

Et sinon, des membres de ma famille ont vraisemblablement ouvert un resto à San Luis... Je n'étais pas au courant.


1 commentaire:

Sandra a dit…

Le film, c'est la tourneuse de pages. Hé, oui, ça fait partie des daubes que j'ai regardées :o)

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