vendredi 7 novembre 2008

Vieilles pierres, équitation et cactus hallucinogène

J'ai quitté San Luis un peu tard mardi, et ai suis partie pour Matehuala, petite ville mortelle à deux heures de bus; là, j'ai dû attendre près de trois heures que le bus pour Real de Catorce arrive. Je suis allée faire un tour, mais ce trou était déprimant... J'ai quand même pris ces deux photos sympas dans un terrain vague infesté de fourmis, on peut dire que j'ai gagné ma journée.

Le bus pour Real de Catorce partait à 18 heures, je n'ai donc pas pu profiter du paysage, plongé dans l'obscurité. Le dernier tronçon de l'unique route qui mène au village passe dans un tunnel trop étroit pour le bus; nous avons donc dû en changer, nous installant pour un petit quart d'heures dans un bus plus petit. Epique, ce dernier bout! Je ne crois pas avoir été autant brinquebalée auparavant. J'adore. A ma descente, j'ai tout de suite été harponnée par un jeune type à l'air peu fûté qui m'a demandé si je cherchais un hôtel. J'aurais sans doute pu faire ma brave et me démmerder toute seule, mais je n'en avais pas envie. J'ai expliqué que je cherchais plutôt un « hostal » - on m'avait dit qu'il y en avait plusieurs - , c'est-à-dire un endroit avec un dortoir, un lieu où les gens ne sont pas isolés chacun dans son coin. Oui oui oui, m'a répondu mon guide, il y a des chambres d'hôtes etaussi des hôtels pas cher. Non non, ai-je insisté, ça n'est pas le prix qui m'importe; ce que je veux, c'est un dortoir avec d'autres gens! Oui oui. Tu parles! Je me suis retrouvée dans un hôtel, pas trop cher, certes (12 CHF la nuit, 15 avec le pourboire du gars), mais un hôtel quand même. Moi qui voulais rencontrer des gens pour aller dans le désert, c'était râpé. Enfin, au moins même si le confort était sommaire, j'ai au moins pu, enfin, me laver les cheveux et profiter d'une douche bien chaude, ce qui m'avait manqué chez Octavio.

Real de Catorce, c'est un village perdu au milieu de la sierra de Catorce, dans l'altiplano de l'état de San Luis Potosí, à 2750 mètres d'altitude. C'est une destination à la mode depuis quelques années, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le village est resté tel qu'il était lors de sa fondation, en 1779, lorsque des mineurs sont venus s'y installer, et l'ambiance y est authentique et particulière. Ensuite, on trouve facilement du peyote dans la sierra avoisinante, ce qui attire les jeunes curieux (comme moi) du monde entier. Et enfin, c'est ici qu'ont été tournée les films Le Mexicain avec Brad Pitt et Julia Roberts, en 2001, et Bandidas avec Salma Hayek et Pénelope Cruz, en 2004.

Le jeune type qui m'avait amenée à l'hôtel, Francisco de son prénom, m'a proposé un tour dans le désert le lendemain, à cheval, avec cueillette et consommation de peyotl à la clé; je lui ai donc donné rendez-vous, le matin, à mon hôtel. Pourtant, il ne m'inspirait pas grande confiance, il avait un air un peu bovin qui ne me donnait pas envie de passer la journée seule avec lui; je lui ai donc dit que je n'irais que si d'autres touristes se présentaient pour nous accompagner.

Voici quelques photos du village, de nuit.


Le lendemain matin, j'ai décidé de payer une nuit de plus à l'hôtelier, et me suis retrouvée embarquée avec lui , je ne sais comment, dans une conversation théologique. J'ai tenté de lui expliquer que je ne vivais très bien sans savoir s'il existait un dieu ou non, et que je pensais que s'Il existait pour de bon, Il pouvait parfaitement comprendre que je doute et m'accueillerait quand même dans son Paradis. Le type m'a répondu que non, parce que c'était comme pour les passeports qui permettent de voyager, il fallait être enregistré quelque part et donc avoir reçu le baptême. Dans ce cas, lui ai-je objecté, ça signifiait que si mon cheval faisait un faux pas et me précipitait, ce jour-même, dans le précipice attenant au chemin, j'irais directement en enfer? « Ay, no diga eso! », s'est-il écrié. « Vous n'allez pas mourir! Mais si c'était le cas, il y a de toute façon toujours des gens qui prient pour les incroyants et pour les criminels, pour qu'ils soient sauvés malgré tout. » Je lui ai dit que si Dieu était vraiment bon et tout-puissant, il connaissait déjà l'existence des incroyants et n'avait donc pas besoin qu'on lui adresse des prières pour les sauver. « Ah », m'a rétorqué le mec, qui connaissait bien sa petite histoire, « mais c'est que Dieu n'a pas besoin de nous, c'est à nous de demander quelque chose si on veut l'obtenir, sinon il ne donnera rien! » Ouais, ben moi je ne veux pas d'un tel dieu égoïste, merci bien. Et d'abord, comment puis-je savoir qu'il existe? Cette histoire de salvation sélective est profondément injuste! Le mec m'a répondu que Saint Paul lui aussi avait douté, et que Jésus lui avait montré je ne sais pas quoi, et bla et bla... Je l'ai interrompu pour lui faire remarquer que moi je n'ai pas vu Jésus marcher sur l'eau, et je n'ai donc aucune preuve que ce type ait existé, et encore moins qu'il ait eu un papa divin. Du coup Dieu, s'il existe, n'a qu'à m'envoyer un miracle pour que je croie en lui et accepte le baptême, ce serait équitable, non? «Mais on n'a pas besoin de miracles pour croire en lui, moi chaque matin je vois le soleil, et chaque jour Dieu me bénit de la présence de ma magnifique fille... et puis il ne s'agit pas de preuves scientifiques, mais d'un acte de FOI!», qu'i lm'a répondu, devenant tout à coup lyrique. J'ai fini par couper court à la conversation en disant que bon, ç'avait été un plaisir, mais que moi j'avais du peyote à aller bouffer.

Je suis allée me promener un peu avant mon départ pour la sierra, et ai pu profiter du village dans la lumière du matin. De nombreux coqs chantaient sans interruption, on entendait quelques ânes braire, des enfants allaient à l'école, et les pavés irréguliers, polis par des millions de pas, brillaient au soleuil. Il faisait encore un peu frisquet, juste ce qu'il fallait pour vraiment profiter de la matinée. Je me suis fait aborder par un certain Carlos, qui m'a dit qu'il serait mon guide à la place de Francisco, si je voulais toujours partir; celui-ci m'inspirait plus confiance, j'ai donc décidé de partir avec lui, malgré l'absence d'autres personnes. Il est bientôt revenu avec deux chevaux, et nous sommes partis au petit pas sur la longue pente caillouteuse qui descendait du village dans la sierra. J'ai appris que mon cheval, au poil beigeasse, s'appelait Conejo, ce qui veut dire « lapin »... Oui c'est étrange, mais c'est à cause de la couleur de sa robe; celui de mon guide, un cheval bai, se nommait, lui, Cabrito, c'est-à-dire « chevreau », pour la même raison. Ah. D'accord. Tiens, du coup je pourrais renommer ma chatte Cata « Vache fribourgeoise »...

Nous avons chevauché une heure et demi, parfois très proche du bord abrupt du chemin, traversant de tout petits villages remplis d'ânes, de chevaux et de chèvres. J'ai gentiment réhabitué mon corps au trot enlevé, appris il y a une bonne quinzaine d'année au manpège d'Onex, et ai profité du paysage aride. Malheureusement, il n'est pas très facile d'effectuer les bons réglages et de prendre des photos d'une seule main du haut d'un cheval en mouvement, celles-ci sont donc assez mauvaises.

Nous avons finalement mis pied à terre dans un endroit loin de toute civilisation et nous sommes mis à la recherche du peyotl. Ce cactus est très prisé des touristes, qui parfois passent la nuit dans la sierra, il n'y en a donc plus beaucoup dans les environs de Real de Catorce; nous avons donc dû chercher un petit moment avant de trouver les deux premiers. Moi je n'ai évidemment rien vu, il faut être habitué pour trouver ces petites taches vert-gris enfouies au pied des buissons.

J'ai d'abord mâché et avalé trois boutons, avec un peu d'eau, et c'est très amer et plutôt infect, puis je me suis assise avec Carlos pour attendre de voir ce qui se passerait. J'avais entendu trois versions différentes de ce qui pouvait m'arriver: plusieurs personnes m'avait dit que l'on se sentait infiniment bien et détendu, et que l'on avait quelques hallucinations; mais Octavio m'avait, lui, dit: « Moi j'ai fait un bad trip, parce que je me suis vu tel que je suis, sans masque; un mauvais moment à passer, mais l'expérience la plus intéressante de ma vie»; enfin, on m'avait aussi dit qu'il pouvait très bien ne rien se passer du tout. J'avais également en tête les récits de Carlos Castaneda, cet espagnol qui était parti recevoir l'enseignemetn d'un chaman en pleine sierra et avait vécu des expériences stupéfiantes avec les esprits *, mais je n'en espérais certes pas tant. Après une demi-heure, et jaugeant d'un coup d'oeil ma stature imposante, mon guide m'a dit que selon lui je faisais mieux de prendre plus de cactus si je voulais ressentir quelque chose; j'ai accepté, et nous sommes repartis scruter le sol. Nous avons finalement trouvé trois autres petits boutons, que j'ai mangés. J'étais un peu appréhensive, mais lui faisais tout à fait confiance. « Et si tu es malade, je m'occuperai de toi », que Carlos m'a dit. Chouette alors.

Et oui, j'ai assorti la couleur de mes vêtements à la robe de mon cheval, c'est ça la classe.

Nous sommes remontés à cheval, et j'ai senti mes cuisses et mes fesses hurler de douleur...je dois encore faire attention à la façon dont je m'assieds plus de 24 heures après. Bon sang, l'équitation ne faisait pas aussi mal, quand j'étais enfant! Le trajet du retour s'est passé dans le silence, et je ne sentais pas grand chose; à peine si la tête me tournait un peu, comme après une ou deux bières. De temps à autre un peu nauséeuse, mais rien de rien. « C'est normal », m'a dit mon guide, « ça prend plus de temps ». D'accord. Nous sommes finalement arrivés au village après de longs kilomètres de trot douloureux et une montée fatiguante pour les chevaux. Je suis descendue de Conejo et là, pouf, grosse chute de tension. Les paroles et le visage de Carlos se sont perdus dans le brouillard, et j'ai juste eu le temps de m'asseoir à même le sol, dans la rue, sous le regard placide de mon cheval. J'ai heureusement retrouvé assez rapidement la vue et l'ouïe, je n'avais rien de grave; d'ailleurs, cette chute de tension a très bien pu être causée par l'altitude ou par le fait que j'étais encore à jeûn.

J'ai pris cette photo de Conejo immédiatement après avoir recouvré la vue.

Flageaolante, je suis allée acheter de l'eau et suis rentrée me coucher, tremblante et grelottante, à l'hôtel. Là, j'ai somnolé en attendant de voir se manifester les effets du peyotl, masi je dois dire que mes rêves ne furent pas plus étranges que d'habitude. De temps à autres, j'ouvrais les yeux et fixais intensément la lucarne au-dessus du lit. Le soleil faisait danser des reflets dans le verre bombé, et j'ai cru y voir une armée de soldats parfaitement alignés. Je n'étais pas vraiment en train d'halluciner pour autant, je ressentais plutôt plus fortement la présence des objets qui m'entouraient. De même, le christ sur sa croix qui me surplombait était à deux doigts de se mouvoir...mais il ne l'a aps vraiment fait. Je sentais que j'étais à la limite des pleins effets de la drogue, et qu'un peyote de plus arait fait la différence. J'ai encore somnolé, et au bout d'un moment j'ai cessé d'avoir froid et ai commencé à me sentir vraiment bien, et je me suis même marrée toute seule dans mon lit.

C'est la lucarne qui surplombait mon lit. Les petites figures lumineuses bougeaient...



J'ai fini par sortir de ma chambre, six heures après avoir ingéré le cactus, et suis allée, encore un peu tremblante, dans un cyber café. Là j'ai commi l'erreur de manger du pain, qui m'est resté sur l'estomac, et j'ai finalement jugé plus prudent de rentrer, histoire de ne pas avoir à vomir, le cas échéant, devant tout le monde. La douleur s'est rapidement dissipée et m'a laissée fatiguée, mais j'ai eu du mal à trouver le sommeil et ai passé une mauvaise nuit. Voilà pour le compte-rendu détaillé de mon expérience! Je n'ai pas senti grand chose, mais je ne regrette pas d'avoir essayé; la prochaine fois, je saurai qu'il me faut au minimum sept petits boutons de peyotl pour planer.

Satisfaite, je me suis levée aux aurores jeudi matin pour prendre le bus et quitter le village. Celui-ci est accueillant, mais j'en aurais sans doute plus profité si j'avais pu y dormir chez un couchsurfeur; en l'absence de quelqu'un avec qui parler, j'ai préféré mettre les voiles. Il faut dire aussi que j'ai dépensé bien plus à real de Catorce en deux jours qu'auparavant en deux semaines, et bon sang, on s'habitue vite à vivre de peu.


Voici, en vrac, quelques photos du village.

C'est l'entrée par laquelle arrive le bus.



J'ai passé la journée à manquer mes correspondances et à m'ennuyer avec un livre chiant dans quatre bus différents, et suis enfin arrivée le soir à San Miguel de Allende, jolie cité coloniale du même gabarit que Zacatecas. Je n'avais pas vraiment prévu de venir ici, mais un couchsurfeur coréen du nom de Kal m'a proposé ed venir l'y rejoindre pour faire la fête avec des amis à lui. Ce Kal, je ne l'avais jamais vu auparavant; alors pourquoi diable suis-je allée le rejoindre ici? C'est que j'entends parler de lui depuis des semaines. Les Chihuahuenses l'avaient hébergé plusieurs jours, et Koko ne tarissait pas d'éloges à son sujet: un artiste, un philosophe, un mec génial, et il m'avait montré des photos et une vidéo. Puis, à Zacatecas, les deux frères ont également mentionné un Coréen très sympa et artiste dans l'âme qui était resté chez eux quelques jours. Un Coréen, tu dis? Il ne s'appellerait pas Kal, par hasard? Eh oui, c'était bien lui! Il faut dire qu'il doit pas y en avoir 36, des Coréens qui font du couchsurfing au Mexique. Nasul et Carlos l'ont également beaucoup apprécié, c'est pourquoi j'ai décidé que j'allais enfin rencontrer ce type que j'avais déjà l'impression de connaître un peu. Je lui ai écrit que j'avais envie de faire sa connaissance, et me voici donc à passer le week-end avec lui et ses amis à San Miguel.


* L'Herbe du diable et la petite fumée est le nom du premier volume de Carlos Castaneda, et il s'agit initialement de sa thèse d'anthropologie. Par la suite, il a encore publié cinq bouquins, faisant suite au premier et plus passionnants encore; il a en effet continué son apprentissage avec le chaman hors du contexte universitaire, et a vécu des choses surnaturelles, sans pour autant se départir de son rationnalisme initial. Je vous recommande vivement la lecture de cet auteur!

3 commentaires:

Anonyme a dit…

On appelle déjà Lluvia "mouton de poussière". :)

Unknown a dit…

Hello!!Je reprends ton blog après 1 ou 2 semaines la tête sous l'eau (trop de boulot et cette semaine j'ai en plus filé un coup de main au festival Les Créatives où je bossais l'année passée et l'année d'avant), toujours aussi cool de te lire, t'as vraiment de la chance dans tes rencontres, les mecs ont l'air sympas et marion a raison,l'indien est très mignon! sinon, Zacatecas a vraiment l'air d'une belle ville (peut-être parce que ca ressemble à Salamanque?), sinon rien a voir mais sandra t'as raison "La tourneuse de pages" est une daube!Nat,je t'écris un petit mail promis,j'ai meme pas répondu a ton dernier,je suis un peu a la rue!le temps passe si vite,6 semaines avant noel!bizzzzzzzzz

Nath a dit…

Ouais, "La tourneuse de pages" je l'avais vu (avec vous deux? avec Sandra?), et il est un peu chiant, en effet.
Jwe l'attends, ton mail, hein! :)

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