jeudi 14 août 2008

3888 km

Mon projet de road trip avec Pierre-Olivier est malheureusement tombé à l'eau, sa voiture est morte, il a du mal à réunir assez d'argent pour voyager...je suis donc partie seule pour l'ouest canadien. Dommage, je me réjouissais à l'idée d'avoir un compagnon de voyage, pour une fois. Ne pas être toujours seule à prendre les décisions, et juste rouler en regardant défiler le paysage...tant pis.

Du coup, j'ai décidé de ne pas trop traîner en route et de rejoindre directement les Rockies, dans l'Alberta, sans m'arrêter dans les immenses Prairies, monotones, qui couvrent une grande partie du territoire canadien, en Ontario, au Manitoba et au Saskatchewan. J'ai donc pris le Greyhound pour Banff, ville située près du parc national du même nom, considéré comme le plus beau du Canada.


3888 km, c'est la distance, à vol d'oiseau, entre Montréal et Banff. Oui, ça fait un sacré bout!
Je suis partie de Montréal lundi à 11h du matin, bien ravitaillée en bouquins, avec un épais ticket plié huit fois sur lui-même: Ottawa, North Bay, Sudbury, Thunder Bay, Winnipeg, Regina, Calgary, et finalement Banff. Selon mon horaire, je devais arriver le lendemain soir. Parfait.

A Ottawa, j'ai fait la connaissance de mon voisin, Dallas, originaire d'un bled perdu en Alberta (et n'ayant aucun rapport avec le Texas, malgré son prénom), qui s'en revenait chez lui et descendait à Calgary. Un drôle de look, lunettes à la Beatles fumées sur le nez et survêtement ouvert sur son torse, comme s'il était à la plage. Avec ça une belle peau brune et un air un peu stone, mais quand même moins stupide que sur la photo ci-dessous.

"You don't look like a Canadian", lui ai-je dit quand les présentations furent faites. "I'm a Native", qu'il m'a répondu. Oups, j'avais complètement oublié la minorité amérindienne qui vit encore dans le pays, habituée que j'étais au beaux blonds qui pullulent au Québec... Ouah, un Natif! un Indien! un membre des Premières Nations! (toutes ces appellations cohabitent et donnent lieu à des controverses sans fin). C'était le tout premier que je rencontrais, et ça n'est en fait pas étonnant étant donné qu'il n'en reste plus qu'1,3 millions dans tout le pays, sur un total de 32 mios d'habitants. En fait, il s'est avéré que Dallas ne possède qu'un quart de sang amérindien, ayant pour le reste des origines black américaine, allemande et irlandaise. Il m'a expliqué que malgré qu'il soit métissé, il possède officiellement le statut de "member of the First Nations", qui lui donne droit à quelques privilèges, comme l'accès gratuit à aux soins médicaux. Ces aides étatiques tentent de pallier à la misère de cette population, dans laquelle les taux de chômage et de mortalité sont plus importants que la moyenne du pays. Comme en Australie, comme aux Etats-Unis, les Amérindiens n'ont pas fini d'en baver...
Dallas n'est pas né dans une résèrve, et je suppose qu'il ne connaît pas grand chose à la culture de ses ancêtres, étant donné que son père est parti quand il était encore bébé; mais je m'en fiche, j'ai quand même rencontré un Indien.
Sacrément bavard, le mec, en tout cas, ce qui a beaucoup contribué à faire passer le temps. Dallas ne parle que l'américain (ou l'anglais canadien, ce qui pour moi revient exactement au même) et n'est, à ce que je sache, jamais sorti de son pays; cela explique peut-être pourquoi il me parlait exactement comme il l'aurait fait avec n'importe lequel de ses potes, c'est-à-dire sans du tout ralentir son débit et sans chercher à simplifier son langage ou à éviter les mots d'argot. Je ne lui ai pas demandé de ralentir, j'étais au contraire contente de pratiquer mon anglais de cette façon. Du coup, je devais me concentrer pour saisir l'intégralité de ses propos, surtout avec le bruit du bus, et certaines choses m'échappaient de temps en temps. Parfois, je ne pouvais m'empêcher de décrocher complètement et me contentais d'insérer judicieusement dans la conversation des "ooh, really? no waaay! that's amazing", et des petits hochements de tête, et ma foi ça marchait assez bien. J'ai quand même eu l'occasion de beaucoup parler, et je pense avoir plus progressé durant ces quelques jours de bus avec lui que depuis un bon bout de temps. J'ai pu également me rendre compte que le cliché étatsunien du type qui n'est jamais sorti de chez lui s'applique aussi au Canada anglophone. Dallas confond, évidemment, la Suisse et la Suède, n'a retenu que "bonjour, tou ey belle" de ses années de français et faisait sans arrêt référence à des éléments de culture américaine et canadienne que je ne pouvais pas connaître, ne semblant pas se rendre compte que les choses fonctionnent différemment chez nous. Et j'ai eu l'occasion de bien me foutre de sa gueule quand il m'a fait toucher la lisière de ses cheveux, juste avant le front: le mec se rase deux centimètres pour éviter de devenir chauve. Pardon? Oui, parce qu'on sait bien que quand on rase un poil il repousse encore plus dru, donc là c'est la même chose. Hum, non Dallas, c'est pas vraiment comme ça que ça marche, je suis désolée de te l'apprendre. Malgré son éducation lacunaire et une certaine ingénuité, c'est un esprit vif et joyeux, plein d'humour, une très agréable compagnie. Il m'a raconté ses mésaventures: comment il s'était fait jeter d'un Greyhound au milieu de nulle part parce qu'il s'y était saoulé, comment il s'est fait refouler à la frontière des USA parce qu'il avait été pincé auparavant pour possession de Marijuana (il pense qu'il n'a pas le droit de sortir des frontières du Canada à cause de ça, mais je lui ai conseillé de se renseigner, je trouve ça un peu louche), comment il a arrêté le LSD et les anphétamines... et tout ça toujours avec un grand sourire. M'a également appris à utiliser un nouveau mot, "eesh" (sais pas comment ça s'écrit), qui signifie "plus ou moins", ou "kind of": "Dallas, are you awake?" - "eesh".
Quand le moment est venu de me rouler en boule sur deux sièges pour dormir un peu, c'est en américain que je me parlais, entre veille et sommeil, et c'est en américain que j'ai rêvé cette nuit-là, ce qui ne m'était encore jamais arrivé, même à NY.

Quelque part sur la route, lors d'une halte...


Le lendemain après-midi, j'ai remarqué que les panneaux que nous crosions indiquaient encore et toujours que nous étions en Ontario. Hum, me suis-je dit, l'Ontario c'est bien loin de l'Alberta...je suis censée arriver ce soir à Banff, ce qui veut dire que nous devrions encore traverser deux provinces entières en quelques heures...? Renseignements pris, il s'est avéré que j'avais mal calculé mon coup, et que le bus n'arriverait à destination que le lendemain soir. Ah. Au final, c'était bien 60 heures que je devais passer sur la route! Gulp.
J'aurais évidemment pu m'arrêter quelque part au milieu des Prairies pour dormir, mais je ne voulais pas perdre de temps. J'ai donc pris mon courage à deux mains et suis restée dans le bus.
Ce fut long, mais j'avais Dallas pour la conversation et mes guides en français pour quand mon cerveau n'en pouvait plus de digérer tout cet américain. Le plus difficile ne fut en fait pas de devoir se contenter de quelques heures de sommeil léger roulée en boule, ni même de supporter l'ennui, mais bien de devoir ingurgiter, arrêt après arrêt, la même junk food. Poutine, burger, snickers, poutine, biscuits, burger, gâteau, chips, burger... J'avais bien emporté avec moi des fruits et des légumes...mais ai perdu le sac peu après le départ. Un cauchemar, vraiment, cette succession interminable de haltes dans des fast food, et mes fesses n'apprécient guère.

Hier, je me suis rendu compte que je ne pouvais plus retirer d'argent avec ma (nouvelle) visa. Allons bon, quoi encore? Cette fois-ci il n'aurait dû y avoir aucun problème. Bon, je pouvais heureusement encore payer directement ma nourriture, sinon il aurait fallu faire la manche parmi les passagers du Greyhound...
Dans l'après-midi, le bus s'est arrêté dans une petite ville de la Saskatchewan, et je suis allée m'acheter un sandwich au subway. Ou du moins, j'ai essayé, mais aucune des deux visas ne passait plus. Gulp. C'est là que quelqu'un m'a averti que mon bus était parti sans moi, mais avec toutes mes affaires dedans, à l'exception du passeport et des cartes de crédit. Moment de panique... Heureusement, le bus suivant partait bientôt et allait aussi à Calgary. J'étais furieuse contre le chauffeur! A cause de mes emmerdes de carte de crédit, j'étais en retard de peut-être deux minutes, il aurait quand même pu m'attendre et compter correctement le nombre de personnes. Et Dallas aurait quand même pu se rendre compte que je n'étais pas là, bon sang! Et je n'ai même pas pu lui dire au revoir ni lui demander son adresse email, c'est con. J'ai expliqué ma situation à la dame de la station de bus, et elle a appelé Calgary pour leur dire qu'il fallait qu'ils sortent mon appareil photo, mes bouquins et mon sac à dos des compartiments au-dessus des sièges, et qu'ils les mettent de côté pour moi. Bon.
Arrivée à Calgary, quelques heures plus tard, on m'a fait courir dans tout le terminal pour trouver la personne responsable de la sécurité. Je voyais avec angoisse que le bus pour Banff allait partir dans peu de temps et que je risquais de le manquer. Quand j'ai enfin trouvé le bon type, il m'a dit qu'ils n'avaient rien reçu, ni coup de fil ni sac. Mais...mais...je fais quoi, moi, maintenant? Je songeais avec un léger vertige que je venais de perdre à la fois mon appareil photo, ma carte mémoire presque remplie et l'ordinateur sur lequel les copies des photos étaient stockées. Je n'ai heureusement pas eu le temps de bien prendre conscience de l'ampleur de ma perte, quelqu'un a appelé le gars pour lui dire qu'ils avaient mes affaire. Ouf!! J'ai juste eu le temps de sauter dans le bus pour Banff, soulagée. Lors d'une halte, j'ai pu constater que ma carte fonctionnait de nouveau, il devait donc s'agir d'un bug de visa. Pas très rassurant, en tout cas, et ça m'apprendra à avoir toujours du liquide sur moi, mais quel soulagement. C'est donc le sourire aux lèvres que j'ai pu apprécier la toute fin du voyage, dans un magnifique coucher de soleil au milieu des Montagnes Rocheuses, avec Emilie Clepper qui chantait, de manière totalement appropriée: "I've seen many of these Greyhound stations, when the sunset will be my destination...".
Malheureusement, lorsque je suis enfin arrivée à 20h30, épuisée, à Banff, il s'est avéré que mon grand sac à dos n'était pas dans la soute. Totalement désemparée, j'ai demandé au chauffeur ce que j'étais censée faire, et il m'a juste répondu qu'il était vraiment désolé, que ça arrivait quelques fois et que tout ce que je pouvais faire était d'attendre le prochain bus en provenance de l'est, à minuit et demi, dans l'espoir que mon sac aurait suivi, puisque j'y avais accroché une étiquette avec le nom de ma destination. Vraiment désolé, au revoir. C'est là que j'ai finalement fondu en larmes, et que je me suis autorisé un moment d'autoapitoiement. Ca faisait plus de 60 heures que je n'avais pas vu quelque chose qui ressemble de près ou de loin à un lit, j'avais déjà eu mon lot d'angoisses dans la journée et en plus ma propre odeur commençait sérieusement à me déranger, mais je ne pourrais pas me laver correctement le soir ni changer d'habits, et puis bon sang, si mon sac s'était vraiment perdu, pour de bon...l'étiquette avec mon nom avait beaucoup souffert de la pluie québécoise, on ne pourrait peut-être pas l'acheminer vers Banff, quelle horreur, je perdrais ainsi non seulement mes fringues mais surtout mon journal, rempli de ces 6 derniers mois de ma vie...pourquoi ne l'avais-je pas emporté dans mon petit sac à dos, avec moi dans le bus! Aaaah, si seulement j'avais un ami avec moi!*
J'en étais là de mes réflexions larmoyantes quand je me suis rendu compte que le bouquet d'arbres sous lequel je m'étais réfugiée regorgeait de moustiques qui étaient en train de me dévorer. J'ai donc séché mes larmes et suis partie composer le numéro des renseignements pour obtenir celui de Greyhound. Evidemment, à cette heure tout était fermé. Je me suis finalement acheminée vers mon auberge, ai emprunté un savon, me suis lavée sommairement et ai attendu l'heure du bus, totalement exténuée. Je suis retournée à la station et ai croisé une biche, qui broutait tranquilement un buisson près du terminal. Comme de bien entendu, j'ai attendu une heure dans le froid (le bus était en retard) strictement pour rien. Tout ça n'aura pas été en vain, puisque j'ai rencontré sur le chemin du retour, à 1h30 du matin, un couple de cerfs qui traversait la large avenue déserte juste devant moi. Pas pressés, pas inquiets, ils se câlinaient et ne se préoccupaient pas de ma présence. Totalement surréaliste, le bruit de leurs petits sabots résonnant sur l'asphalte dans la ville silencieuse... De quoi m'aider à simplement apprécier le lieu et le moment présent et à lâcher prise par rapport à mes soucis.
Ce matin, je suis retournée au terminal de bus, résignée, m'attendant à devoir rester à Banff plusieurs jours le temps que les recherches s'organisent... Mais non, mon sac était là! O joie! Tout est bien qui finit bien, donc. J'ai ainsi enfin pu profiter de la région sereinement aujourd'hui.

La ville elle-même est petite et n'offre que peu d'intérêt. C'est un endroit coquet mais sans âme, entièrement dédié au tourisme, et plutôt huppé. Les rues s'appellent Beaver, Bear, Rabbit, Otter, Lynx ou Caribou Street, et les boutiques de luxes succèdent aux magasins de location de skis. Car nous sommes à la montagne! Je ne crois pas que l'altitude soit très élevée ici, mais la ville est en tout cas entourée par plusieurs sommets des Rockies, et c'est magnifique. La faune est toute proche, en témoignent les bestioles que j'ai croisées en pleine ville, ainsi que les poubelles: toutes possèdent un lourd couvercle métallique, à l'épreuve des ours et autres indésirables. La ville est toute jeune, et c'est normal: je suis maintenant dans l'ouest, le far ouest, même, et les blancs ont mis beaucoup de temps à arriver ici après avoir développé leurs colonies de l'est. Banff a été fondée à la fin du XIXè s., quand trois types ont découvert des sources thermales. Ils ont construit un hôtel pour attirer la clientèle, qui pouvait désormais rallier l'ouest du pays grâce à la ligne de chemin de fer récemment construite. La région qui entoure ces sources a ensuite été la toute première du pays être déclarée zone protégée, en 1885; je me trouve donc dans le plus ancien parc national du Canada.

Petite balade le long de la Bow River, curieusement turquoise. Cette couleur a peut-être un rapport avec la présence les sources souffrées à proximité, ça ressemble en tout cas pas mal au Blue Lagoon, en Islande.

Spéciale dédicace pour Lydia...




*Les lettreux et ceux qui ont un peu écouté les profs de français au collège auront sans doute noté l'emploi, subtil et fort bien maîtrisé, du discours indirect libre... :D

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Aaarg ! J'ai eu peur ! J'imagine l'état de stress, horrible.

Pas très cool, Dallas, de ne pas avoir pensé à regarder si t'étais là avant que le bus ne parte.

Bon ben tout est bien qui continue bien, tant mieux.

Unknown a dit…

Pauvre!!!! J'ai presque pleuré pour toi au milieu de ton récit, tte stressée m'identifiant à ce que tu vivais! Quels malheurs! Bah, suis contente que ça finisse bien! On réalise vraiment que l'on peut compter que sur soi-même....on pourrai crever que les gens y ont rien à foutre.
Banff, j'aurai tant voulu aller là-bas cet hiver!!! Y paraît que c'est magique pr le ski et snow! Ah les rockies :)
t'es tt près de Whistler en attendant! C'est aussi un village très kitch, pr les riches et très touristique. Mais je m'y suis bien plue parce que j'étais dans une école et que j'ai fait connaissance de gens supers!
Et tu vas croiser pleins d'animaux maintenant!!! Ours, cariboux et attention aux pumas!!!! Prend garde hein! J'aimerai que tu reviennes quand même :P
Gros bisous! je pense bien à toi!

Nath a dit…

Isa: En fait, Dallas était depuis quelques heures assis avec qqn d'autre pour jouer aux échecs, je ne peux donc pas vraiment lui en vouloir...
MC: Whistler j'aimerais bien y aller, c'est sûr, mais tout conspire pour que j'aille le plus vite possible à Vancouver: les hébergements bon marché sont rares par ici, et pris d'assaut! On verra, donc, mais c'est mal barré. Là je vais cet aprem à Lake Louise, mais je crains que le camping ne soit complet...on verra.

Sandra a dit…

test

Sandra a dit…

Heu... je savais plus comment me connecter, d'où le test :o)
Voilà donc mon intéressant commentaire: ce que tu as vécu, ça s'était une aventure!!!! Flippant à mort et maintenant tu vas pouvoir y repenser en souriant.
Comme MC, j'étais captivée par ton récit, mais on sentait bien dès le début que tout s'était heureusement bien terminé :o) Ouf!
Et puis c'est tellement toi, cette histoire de bus raté ;o)

En tout ca, je te souhaite plein de moments stressants mais qui finissent bien, tu vas pouvoir relativiser un tas de choses comme ça (ce que je devrais apprendre à faire, mais j'en suis très très très loin...)

Nath a dit…

Comment ça, on sentait dès le début que tout s'était bien terminé?? Mais pas du tout, j'ai ménagé le suspense et aurais écrit la même chose si j'avais finalement échoué dans le caniveau sans mes affaires!! ;D
Et comment ça, c'est tellement moi, cette histoire de bus raté? J'étais toujours à l'heure, là c'est vraiment à cause de la visa qui ne passait pas. Non mais!

Anonyme a dit…

Ouah l'aventure continue à ce que je vois! C'est pas tjs facile je pense de se retrouver seule dans ce genre de situation, heureusement que t'as retrouvé ton sac finalement...je croyais vraiment que tu ne le reverrais plus jamais!
J'pense que tu feras bcp plus attention la prochaine fois que tu descendras d'un car! :-)
Bisous
J't'envoie par mail une photo de Lydia, Sandra et moi prise aujourd'hui pendant une balade faite à Confignon.

Bisous :-)

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Genève, Genève, Switzerland